L’idole déjeune

Si, comme la compagne de Stéphane Eicher, vous souhaitiez déjeuner en paix ce matin, c’est raté. Peut-être pensez-vous avoir déjà tout entendu sur le petit déjeuner ? Dans le doute, reposez tout de même votre tartine et prenez quelques minutes pour lire ceci.

Le petit déjeuner sert-il à quelque chose ?

Etymologiquement, le mot déjeuner provient du latin « disjunare » qui signifie rompre le jeûne. Autrefois écrit « desjeûner », il perdra son accent circonflexe en 1798 (merci Wikipédia). Ce n’est pas un détail sans importance, le terme ayant acquis de ce fait  le sens de « prendre un repas plutôt que celui de rompre le jeûne ». Pour finir, le rajout du mot « petit » finira de conférer à ce repas une importance toute relative. Puisque finalement le petit déjeuner ne semblait pas indispensable, notre population libérée pouvait enfin partir tous les matins en retard au travail. Un café, une cigarette et haut les cœurs !

Rappelons-le une fois encore : notre organisme n’a que faire de nos préoccupations sociales ou professionnelles. Si nos modes de vie ne sont pas un minimum en adéquation avec notre constitution biologique, les problèmes de santé ne manqueront pas d’apparaître. C’est apparemment le cas lorsque l’on se prive de petit déjeuner puisqu’une étude des chercheurs de l’Université du Massachusetts a démontré que le risque de souffrir d’obésité ou de surpoids était plus élevé de 450% chez les personnes qui ne mangeaient pas le matin (1). Ceci peut en partie être expliqué par le fait que la prise d’un petit déjeuner accroît notre taux métabolique (calories brûlées au repos). Ce qui signifie qu’en se passant de petit déjeuner, on brûle entre 200 et 400 calories en moins par jour.

Qui dort dîne

Il ne faut pas croire que notre corps se met totalement au repos durant la nuit. Le sommeil est au contraire une période d’activité intense. Lorsque nous dormons, toute une série de processus biochimiques et physiologiques se mettent en place afin de réparer les dommages cellulaires survenus au cours de la journée et nous préparer pour la suivante. Un tel ouvrage nécessite un approvisionnement énergétique constant. Cela suppose donc que notre organisme soit capable de synthétiser sa propre énergie en l’absence de nourriture. Tel est bien le cas, puisque la nuit notre corps rentre en phase de catabolisme : il s’auto-digère pour continuer à fonctionner. Il puise notamment dans nos réserves de glycogène musculaire et hépatique (réserves de sucres contenues dans nos muscles et dans notre foie), mais également dans nos graisses et dans notre masse musculaire. Ce travail est principalement l’affaire du cortisol, une puissante hormone surrénalienne. Le cortisol parvient à stabiliser notre glycémie (taux de sucre dans le sang) en transformant nos protéines et nos lipides en glucose (sucre sanguin), grâce un processus nommé néoglucogenèse. La première fonction du petit déjeuner est donc de mettre fin à cette cannibalisation de nos réserves. Ceci est absolument primordial, car en plus d’engendrer une fonte musculaire, une hypersécrétion chronique de cortisol peut avoir des conséquences désastreuses sur notre santé.

Mais moi le matin je n’ai pas faim !

Certaines personnes m’expliquent ne jamais prendre de petit déjeuner à cause d’une sensation de nausée au lever : « je me sens toujours barbouillé(e) le matin, je ne peux rien avaler avant midi ». Je ne doute pas que quelques individualités puissent être génétiquement peu prédisposées à manger le matin. Cependant, lorsque je m’intéresse d’un peu plus près à leur mode de vie, j’observe régulièrement les trois problématiques suivantes :

  1. Un temps de sommeil insuffisant et/ou un sommeil de mauvaise qualité

Une nuit de sommeil de piètre qualité va entraîner une grande libération d’adrénaline, une hormone sécrétée par les glandes surrénales en situation de stress. Cette dernière a un puissant effet « coupe-faim » et perturbe le bon fonctionnement digestif.

  1. La consommation d’alcool en soirée

Il n’est évidemment pas question ici d’alcoolisme notoire. Pour des raisons professionnelles ou sociales, nous avons pratiquement tous consommé au moins une fois de l’alcool en soirée. Outre cette merveilleuse sensation de « gueule de bois » au réveil, force est de constater que l’état de fraîcheur n’est pas non plus au rendez-vous. L’alcool perturbe fortement la sécrétion de la principale hormone du sommeil : la mélatonine. Il s’en suit alors une nuit moins réparatrice et une perturbation du rythme éveil/sommeil, conduisant également à la libération d’adrénaline. Enfin, l’élimination d’une grande quantité d’alcool et la détoxification du sang va imposer une surcharge de travail à votre foie. Rien d’étonnant dès lors, à ne pas ressentir l’envie d’ingérer quoi que ce soit au petit matin…

  1. Une digestion nocturne difficile

A l’instar des rois mages, peut-être avez-vous déjà eu la joie d’expérimenter une crise de foie le soir de Noël ? Un repas excessivement lourd peut occuper votre système digestif pendant plusieurs heures. Il est logique de ne pas avoir d’appétit le matin si la digestion du précédent repas est encore en cours. Comprenons-nous bien, je fais ici référence à un repas sortant de vos habitudes alimentaires, ce n’est en aucun cas un plaidoyer pour la consommation d’une simple petite salade le soir.

La prise en charge de ces trois problématiques suffit la plupart du temps à raviver l’appétit matinal.

Mais moi le matin je n’ai pas le temps !

Partant du principe qu’il y a une réflexion à l’origine de chaque action, j’estime que ces personnes ont choisi de ne pas prendre le temps de petit déjeuner. Il convient alors d’y remédier.

Que prendre au petit déjeuner ?

Comme le disait notre Gérard Depardieu national/russe dans l’excellent Tenue de Soirée : « Nous voilà débarrassé du superflu, on va pouvoir aborder l’essentiel ».

Vous savez à présent qu’il est important de manger quelque chose au lever afin de mettre fin à l’état de jeûne catabolique. Reste maintenant à déterminer quels pourraient être les meilleurs choix nutritionnels à adopter en fonction de vos objectifs. C’est dans la littérature scientifique que l’on trouve les éléments de réponse les plus probants. Des études récentes (2-6) ont ainsi apporté leur contribution à ce sujet en réalisant l’expérience suivante :

Pendant douze semaines, des adolescents en surpoids ont reçu un petit déjeuner, qui apportait soit :

  • 35 grammes de protéines de haute valeur biologique (protéines fournies par    des sources animales : viande, poissons, œufs, produits laitiers),
  • 13 grammes de protéines de haute valeur biologique,
  • Pas de petit déjeuner du tout.

Précisons que 35 grammes de protéines représentent l’équivalent de 5 œufs entiers ou 150 grammes de viande ou de poisson.

Les adolescents ayant consommé des protéines au petit déjeuner ont bénéficié d’une meilleure régulation de leur taux de sucre sanguin au cours de la journée. Plus la consommation protéique était importante (35gr), et plus ce résultat était marqué. A contrario, les adolescents n’ayant pas pris de petit déjeuner ont connu une plus grande fluctuation de leur taux de sucre sanguin l’après-midi. A la fin des douze semaines, seul le groupe de personnes ayant consommé 35 grammes de protéines au petit déjeuner a perdu de la masse graisseuse.

Constater quelque chose ne suffit pas, il s’agit ensuite d’essayer d’expliquer pourquoi ce phénomène se produit.

Les protéines sont bien connues pour leur puissant effet satiétogène. Celui-ci résulte probablement de la combinaison de plusieurs facteurs :

  • La libération d’acides aminés dans le sang (7).
  • La stimulation de la production de cholecystokinin, une hormone gastro-intestinale qui a pour effet de ralentir la digestion (8).
  • Un impact sur la leptine et la ghréline, deux hormones qui interviennent dans la régulation de l’appétit (9).

En stabilisant la glycémie et en augmentant durablement la sensation de satiété, un petit déjeuner riche en protéines est donc susceptible de réduire l’apport calorique journalier (10). Un déséquilibre se produit alors entre la consommation et les dépenses énergétiques, entraînant ainsi une perte de poids.

On ne peut pas vraiment dire qu’un petit déjeuner français classique réponde aux suggestions mentionnées précédemment. Nous sommes culturellement plus habitués au traditionnel pain/beurre/confiture, aux céréales ou aux viennoiseries. Notre premier repas de la journée est donc généralement plutôt riche en glucides (sucres) et pauvre en protéines.

En comparant les effets d’un petit déjeuner « à la française » avec ceux d’un petit déjeuner plus riche en protéines, on observe les phénomènes suivants :

  • Les personnes consommant un petit déjeuner riche en protéines ont tendance à avoir moins faim en journée que celles qui optent pour un petit déjeuner riche en glucides.
  • Les personnes consommant un petit déjeuner riche en protéines ont tendance à se sentir « plus éveillées et sociables » que celles qui optent pour un petit déjeuner riche en glucides (11).

Nous avons déjà expliqué que les protéines impactaient fortement l’appétit. Ce n’est en revanche pas forcément le cas des glucides, qui ont tendance à provoquer d’importants pics d’insuline lorsqu’ils :

  • Sont dénués de fibres et que leur teneur en amidon est très importante (sucre,    confiture, céréales raffinées, pain blanc…).
  • Sont consommés en très grande quantité, au détriment des protéines et des lipides.

L’insuline est une hormone libérée par le pancréas et dont la fonction première est de ramener le taux de sucre sanguin à la baisse après un repas. Plus la production d’insuline est importante, et plus la glycémie chute brutalement. Ce phénomène est donc susceptible d’entraîner une hypoglycémie transitoire plus ou moins marquée, occasionnant des fringales (spécifiquement d’aliments sucrés) et une baisse de la fonction cognitive.

La nourriture que nous ingérons a également un impact direct sur le fonctionnement de notre cerveau. En effet, un repas riche en glucides va favoriser la concentration dans le sang d’un acide aminé nommé L-tryptophane. Cet acide aminé va à son tour être transformé en sérotonine, un neurotransmetteur qui facilite la relaxation et l’endormissement (12). A l’inverse, un repas riche en protéines va favoriser la concentration dans le sang d’un autre acide aminé : L-tyronise. Cet acide aminé va à son tour être transformé en dopamine, un neurotransmetteur qui induit éveil et concentration (13).

Ainsi l’association d’un manque de sommeil et d’un petit-déjeuner riche en glucides constitue clairement la meilleure option, si l’on souhaite naviguer dans le brouillard toute la matinée. Sans surprise, une consommation matinale très élevée de caféine est parfois nécessaire pour sortir de sa torpeur.

A la lumière de ces informations, privilégier les protéines au réveil semble plus judicieux.

Mais qui peut manger ça ?

Cette question m’est régulièrement posée lorsque je suggère à mes clients de modifier le contenu de leur petit déjeuner. Viande, poisson ou œufs dès le lever… vaste programme. La réponse ne se fait alors pas attendre : « jamais je ne pourrais manger ça ! ».

Cette réaction sous-entend que les aliments proposés ne seraient pas adaptés à un petit déjeuner. C’est cependant oublier un facteur clef de nos habitudes alimentaires : le poids des traditions. Le petit déjeuner français n’est pas une référence mondiale, il est même totalement différent dans d’autres cultures. La plupart des pays anglo-saxons proposent des œufs et du bacon, alors que le petit déjeuner japonais traditionnel fait souvent la part belle au poisson. Visiblement, ces populations ne se formalisent pas de ne pas avoir droit à leur bol de Chocapic.
Une fois cet a priori surmonté, il faut en moyenne une à deux semaines pour s’habituer à ce changement. Rares sont les personnes qui reviennent en arrière par la suite.

Suggestion de petit déjeuner 

Afin de vous aider à démarrer la journée du bon pied, voici une suggestion de ce à quoi pourrait ressembler un petit-déjeuner protéiné :

  • 1 à 5 œufs bio brouillés, cuits avec une noix d’huile de coco et assaisonnés avec du paprika, du curcuma, du sel marin et du poivre,
  • Fruits au choix,
  • Eventuellement un thé ou un café,
  • Mangez jusqu’à satiété.

Je ne recommande pas l’utilisation de fromage blanc pour diverses raisons, mais il peut servir de transition dans un premier temps. En cas d’activité physique intense prévue au cours de la matinée, vous pouvez bien entendu augmenter votre consommation de glucides en prévision. Veillez cependant à conserver un apport protéique afin d’équilibrer les réactions hormonales et cognitives de votre organisme.

Gardez impérativement en mémoire que ces données ne représentent qu’un idéal théorique et non dogmatique. Si vous souhaitez tenter l’expérience, adaptez librement l’information en fonction de votre appétit, de votre ressenti, de vos envies et de votre niveau d’activité physique.

Pour conclure, n’oubliez pas que si Stéphane Eicher, votre santé l’est tout autant. Avant d’envisager de démarrer la journée le ventre vide, remémorez-vous donc cette chanson de Johnny : l’idole déjeune.

 

 

Références scientifiques
(1) Yunsheng Ma, et al. Association between Eating Patterns and Obesity in a Free-living US Adult Population. American Journal of Epidemology, 2003; 158 (1) : 85-92.
(2) Bauer LB. A pilot study examining the effects of consuming a high-protein vs normal-protein breakfast on free-living glycemic control in overweight/obese ‘breakfast skipping’ adolescents. International Journal of Obesity, 2015 Sep;39(9):1421-4.
(3) Alwattar AY. The effect of breakfast type and frequency of consumption on glycemic response in overweight/obese late adolescent girls. Eur J Clin Nutr, 2015 Aug, 69(8):885-90.
(4) Leidy HJ. A high-protein breakfast prevents body fat gain, through reductions in daily intake and hunger, in “Breakfast skipping” adolescents. Obesity, Vol. 23, Issue 8.
(5) Leidy HJ. Beneficial effects of a higher-protein breakfast on the appetitive, hormonal, and neural signals controlling energy intake regulation in overweight/obese, "breakfast-skipping," late-adolescent girls. Am J Clin Nutr, 2013 Apr, 97(4):677-88.
(6) Hoertel HA. A randomized crossover, pilot study examining the effects of a normal protein vs. high protein breakfast on food cravings and reward signals in overweight/obese "breakfast skipping", late-adolescent girls. Nutr J, 2014 Aug, 6: 13-80.
(7) Teff KL, et al. The effect of protein or carbohydrate breakfasts on subsequent plasma amino acid levels, satiety and nutrient selection in normal males. Pharmacology Biochemistry and Behavior, 01/1990; 34(4):829-37.
(8) Foltz M. Protein hydrolysates induce CCK release from enteroendocrine cells and act as partial agonists of the CCK1 receptor. J Agic Food Chem,2008 Feb 13;56(3):837-4.
(9) Weigle DS, et al. A high-protein diet induces sustained reductions in appetite, ad libitum caloric intake, and body weight despite compensatory changes in diurnal plasma leptin and ghrelin concentrations. American Journal of Clinical Nutrition ,Jul 2005; 82 (1) : 41-48.
(10) Barkeling B, et al. The Effects of a High-carbohydrate, High-protein or Balanced Lunch upon Later Food Intake and Hunger Ratings, International Journal of Obesity,1990; 14 : 743-751.
(11) Fischer K, et al. Carbohydrate to protein ratio in food and cognitive performance in the morning. Physiology and behavior , Mar 2002 ; 75 (3) : 411- 423.
(12) Hartmann E, Spinweber CL. Sleep induced by L-tryptophan. Effect of dosage within the normal dietary intake. Journal of Nervous and Mental disease, Aug, 1979 ; 167 (8) : 497-499.
(13) Wurtman RJ, et al. Effects of normal meals rich in carbohydrates or proteins on plasma tryptophan and tyrosine ratios. American journal of Clinical Nutrition, 2003 ; 77 (1) : 128-132.