Le poids des maux

S’il existe un appareil de mesure inutilement anxiogène sur cette planète, c’est bien le pèse-personne. Il m’arrive très fréquemment de conseiller des personnes de tout âge, pour qui la balance est devenue un véritable outil de torture psychique. Pourtant, cet instrument n’est d’aucune utilité, car l’évaluation du poids est un sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît. Attelons-nous à déconstruire les nombreuses idées reçues circulant à ce sujet.

Le poids ne dit pas tout

Essayez d’imaginer deux personnes faisant toutes deux 1m70 pour 60 kg. Bien que leur balance affiche un poids équivalent, l’une est mince avec des muscles dessinés, alors que l’autre présente un fort surplus adipeux. Quelle est fondamentalement la différence ? Le pourcentage de masse graisseuse est plus élevé chez l’une que chez l’autre.

C’est ici que réside le principal problème du pèse personne : il ne fait pas la distinction entre le muscle et la graisse. Ceci n’est pas un détail anodin, car vous l‘aurez maintenant compris : votre poids ne présente que peu d’importance. Seule votre composition corporelle est déterminante.

Il est capital d’avoir cette notion en tête lorsque l’on cherche à mincir. J’observe chaque année des personnes faire fausse route et dégrader leur physique pour ne pas avoir saisi cette nuance. Pour illustrer ce propos, utilisons l’exemple de Mme X. Comme à l’approche de chaque été, Mme X est angoissée par l’épreuve du maillot de bain. Désireuse de rentrer à tout prix dans son bikini taille 36, elle décide de suivre le régime soupe au choux du Dr Lescroc. Les résultats promis sont effectivement spectaculaires : – 5 kg en 7 jours ! Si Mme X est désormais visiblement plus maigre, un léger imprévu l’empêche néanmoins d’être pleinement satisfaite.
A son grand désarroi, sa musculature n’est toujours pas apparente et certaines zones de « stockage » n’ont absolument pas désempli. Ce que Mme X est en train d’amèrement constater, c’est que si son poids a effectivement diminué, son pourcentage de tissus adipeux est quant à lui resté très important.
Lorsque l’on est au régime, il est totalement illusoire de penser que l’on perd uniquement de la graisse. En effet, la perte d’une quantité plus ou moins élevée de muscle (1), d’eau et de glycogène musculaire (2,3), de masse osseuse (4), et même de tissus organiques (5), est également inévitable. Inutile donc de crier victoire lorsque le chiffre indiqué par votre balance est en nette diminution. La seule véritable question à se poser est « suis-je réellement beaucoup moins gras(se) qu’auparavant ? »

Je veux perdre 10 kilos

Il est très courant qu’un(e) client(e) m’annonce un objectif chiffré à atteindre lors de notre premier entretien : « je veux perdre 10kg » ou encore « mon poids idéal est 55kg ». Si vous cherchez à atteindre un poids précis, il est peu probable que le résultat final vous convienne. Pourquoi ? Parce que votre interprétation du problème est erronée. Votre intention ne doit pas être la perte de poids, mais bien la perte de graisse.

Si Mme X avait eu connaissance de cette subtilité, elle n’aurait jamais suivi le régime du Dr Lescroc. En effet, il est aujourd’hui parfaitement démontré que plus un régime est brutal, et plus la perte de muscle engendrée est importante (6,7). Soyons tout à fait réalistes, la survenue d’une fonte musculaire massive est un phénomène catastrophique lorsque l’on cherche à remodeler son physique. La ligne directrice doit donc être de chercher à perdre un maximum de graisse tout en s’efforçant de conserver, voire de développer, sa masse musculaire. Pour cela, la pratique d’une activité sportive s’avère fort judicieuse.

Poids et Volume

Lorsque j’entraîne un public féminin, je sais d’avance que ma tâche va être plus compliquée. Si un corps plus imposant flatte volontiers l’ego des hommes, ce n’est absolument pas le cas des femmes. Ces dernières sont à la fois soucieuses du chiffre indiqué par leur balance (le poids) ET de la circonférence de leurs membres (le volume). C’est pour cela qu’elles abordent souvent le sport avec méfiance. Cette crainte trouve ses fondements dans deux idées reçues extrêmement tenaces :

  1. Le muscle pèserait plus lourd que la graisse (augmentant le poids)
  2. Le muscle prendrait plus de place que la graisse (augmentant le volume)

Peut-être vous souvenez-vous du piège du kilo de plomb et du kilo de plumes dans lequel vous tombiez parfois lorsque vous étiez enfant ? Le jeu consiste à demander à un chérubin ce qui pèse le plus lourd entre un kilo de plomb et un kilo de plumes. Après un effort de concentration intense, il répondra neuf fois sur dix : « Bennnn un kilo de plomb ». Si, comme de nombreuses personnes, vous pensiez que le muscle pesait plus lourd que la graisse, je suis navré de vous apprendre que l’histoire se répète. Un kilo de muscle et un kilo de graisse sont bien évidemment de poids équivalent.

En revanche, le volume de ces deux entités est effectivement très différent. Pour mémoire, le volume d’un corps ou d’un objet définit la place qu’il occupe dans l’espace. Contrairement à la légende, un kilo de muscle est nettement moins volumineux qu’un kilo de graisse. En voici la preuve en image :

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Mesdames, j’espère à présent vous avoir convaincues que le muscle n’est pas l’ennemi des corps minces, bien au contraire.

Le sport fait grossir…

De nombreuses personnes arrêtent rapidement leur programme d’activité physique, après avoir constaté avec horreur qu’il les faisait grossir. C’est un phénomène qui m’est familier, car il n’est pas rare que l’on me fasse la remarque suivante : « depuis que je m’entraîne, j’ai pris deux kilos et je suis encore plus serré(e) dans mes vêtements, merci bien !!! ». En somme, l’exact opposé de l’objectif recherché ! A moins que…

Cette phase de transition correspond à ce que j’appelle le « double effet kiss-kool ». La musculature se développe, mais les tissus graisseux ne sont pas encore partis. Les deux s’additionnant, le poids de la personne devient logiquement plus élevé et ses membres plus volumineux. Ceci est totalement normal, car sans restriction calorique concomitante, l’organisme n’a guère de raison de se délester de ses graisses de réserve. Une fois les premiers kilos de muscles gagnés, il convient alors d’appliquer les modifications alimentaires nécessaires à la perte de graisse. Pour cela, faites-vous conseiller par un professionnel afin d’éviter le massacre…

…la musculation fait gonfler

Intervenant régulièrement en clubs de gym, j’observe bon nombre de pratiquant(e)s s’entraîner avec des poids ridiculement faibles. Lorsque je les interroge à ce sujet, j’obtiens la réponse suivante : « moi je ne veux pas devenir énorme ». Nous avons précédemment démontré que cette phobie du muscle n’était pas justifiée. Il existe toutefois un second phénomène physiologique qui a très mauvaise presse : la  « congestion musculaire ». Ce terme générique désigne l’accroissement immédiat et spectaculaire de nos muscles, suite à un effort prononcé. Plus une série d’entraînement est longue et intense, et plus l’organisme réagit en vascularisant fortement les zones concernées. Cet afflux sanguin créé un état d’œdème, et la musculature prend alors du volume. La congestion est extrêmement bénéfique, car elle permet de nettoyer les déchets métaboliques accumulés, et d’apporter les hormones et les nutriments nécessaires à la reconstruction musculaire. Pas de panique, les membres retrouvent ensuite leur apparence normale au bout de quelques dizaines de minutes seulement. Cette sensation aura malheureusement fait croire à certain(e)s en une transformation instantanée en l’incroyable Hulk.

Et le cardio fait transpirer

Le cardio-training recueille presque toujours les faveurs des personnes désireuses de maigrir. Pourtant, l’efficacité d’une session d’entraînement n’est pas forcément proportionnelle au niveau de transpiration occasionné. Si vous vous pesez à l’issue d’un entraînement, au cours duquel vous avez beaucoup transpiré, votre balance vous indiquera un chiffre nettement revu à la baisse. Mais, avant d’en tirer des conclusions hâtives, il faut prendre cet élément en compte : on ne sue pas sa graisse ! La sueur ne provoque qu’une perte hydrique (eau) plus ou moins prononcée (8), ainsi qu’une déperdition en minéraux (9). Une fois réhydraté(e), votre poids reviendra à sa valeur initiale.

Si votre objectif est esthétique, seul l’impact de votre entraînement sur votre masse musculaire et sur vos sécrétions hormonales est digne d’intérêt. N’accordez que peu d’attention aux fluctuations logiques de votre poids, et focalisez-vous sur ce que vous indique votre miroir.

Terminons-en là en ce qui concerne l’activité sportive.

Pasta party

Afin de démontrer une toute dernière fois que l’utilisation d’un pèse-personne peut facilement vous induire en erreur, je vous propose de vous livrer à l’expérience suivante :

  1. Pesez-vous juste avant le début d’un repas
  2. Consommez une grande quantité de glucides (féculents, produits sucrés, fruits)
  3. Pesez-vous à nouveau

Vous ne manquerez pas de constater que, d’après votre balance, vous avez grossi de façon spectaculaire. Cette observation courante est probablement en partie à l’origine du mythe, selon lequel les glucides seraient mauvais pour la silhouette. Une fois encore, le sujet est bien plus complexe que cela. Il faut savoir qu’un gramme de glycogène musculaire (réserves de sucre comprises à l’intérieur des cellules musculaires) retient entre 2,7g et 3g d’eau au niveau cellulaire (10). Lorsque vous consommez un plat de spaghettis, l’attirance des glucides et de l’eau permet d’expliquer cette hausse brutale de poids. Pas d’inquiétude, cette rétention d’eau intracellulaire (à l’intérieur de la cellule) et non sous cutanée (sous la peau), n’est pas visible esthétiquement. Comme trop souvent, l’interprétation instinctive de phénomènes physiologiques peut conduire à de mauvaises conclusions.

Les alternatives au pèse-personne

Après avoir mis en exergue le manque de fiabilité de la balance, il convient de s’intéresser aux autres outils d’évaluation. A ce jour, on en dénombre principalement deux :

  1. Les balances à impédancemétrie

Contrairement au pèse-personne, la balance à impédancemétrie cherche à distinguer la masse graisseuse de la masse musculaire. Pour ce faire, l’appareil commencera généralement par vous demander de préciser votre âge, votre sexe, votre poids, ainsi que votre morphologie (athlétique, mince, surpoids…). Par la suite, il s’agit de poser vos pieds sur deux petites plaques métalliques (électrodes) prévues à cet effet. Un courant électrique imperceptible est alors émis par la première électrode, et réceptionnée par la seconde. L’appareil affiche alors différents pourcentages (graisse, muscle, eau..).

En théorie, les tissus adipeux conduiraient l’électricité moins vite que les tissus musculaires. Dès lors, la vitesse de transmission du courant combinée aux indications préalablement fournies à la machine (sexe, poids, morphologie…) suffirait à établir votre pourcentage de masse graisseuse. Cela vous semble un peu tiré par les cheveux ? Vous avez probablement raison.

A l’instar du pèse-personne, la balance à impédancemétrie souffre, elle aussi, de son lot d’imprécisions. Pour commencer, le courant électrique emprunte toujours le chemin le plus court afin de relier les deux électrodes. D’un pied à l’autre, il y a de fortes chances pour qu’il passe par le bassin, négligeant ainsi totalement la partie supérieure du corps. La mesure est donc faussée pour les personnes ayant tendance à stocker de la graisse au niveau des bras ou de la poitrine, et non au niveau des jambes.

Conscients de cette problématique, certains fabricants proposent des modèles livrés avec des électrodes pour les pieds et pour les mains. Toutefois, les bons appareils sont difficiles à trouver et bien souvent hors de prix. De surcroît, il existe de nombreux impondérables susceptibles d’interférer avec la conductibilité du courant à travers le corps. Ainsi la densité osseuse, le niveau d’hydratation, les cycles menstruels, les dérèglements hormonaux, ou encore le niveau de remplissage de la vessie sont autant de facteurs à prendre en compte. Là encore, le résultat affiché risque de manquer de précision.

Finalement, si la balance à impédancemétrie a le mérite de chercher à différencier le taux de masse adipeuse du taux de masse musculaire, elle ne s’avère pas être une alternative beaucoup plus fiable que le pèse-personne.

  1. L’adipomètre ou « pince à graisse »

Un adipomètre se présente comme une pince permettant de mesurer le pourcentage de masse graisseuse à partir de l’épaisseur de plis cutanés. Une série de mesures est ainsi effectuée sur les zones suivantes :

  • Le pli supra iliaque et le pli iliaque (poignées d’amour)
  • Le pli sous scapulaire (juste sous la pointe basse de l’omoplate)
  • Le pli bicipital (biceps)
  • Le pli tricipital (triceps)
  • Le pli ombilical (deux centimètres à la droite du nombril)
  • Le pli quadricipital (sur le quadriceps à mi chemin entre l’articulation de la hanche et celle du genou)
  • Le pli sural (mollet)
  • Le pli axiliaire médial (cage thoracique, au niveau des côtes)
  • Le pli pectoral (partie externe du pectoral)
  • Le pli dorsal (au niveau des reins)

L’épaisseur en millimètres de ces plis est ensuite saisie dans un logiciel qui, avec la taille, le poids, le sexe et l’âge du sujet, va calculer le pourcentage de masse grasse et de masse maigre. L’adipomètre représente, selon moi, l’instrument de mesure le plus précis.

Cependant, son utilisation est loin d’être aisée. Il faut être capable de mesurer systématiquement au même endroit, avec le même angle, et saisir à chaque fois la même quantité de peau. Seul un praticien très expérimenté sera capable de réaliser ce travail sans erreur. A ma connaissance, ils ne sont pas légion…

De la nécessité de l’évaluation

Il semblerait donc que, sans mauvais jeu de mots, l’évaluation du poids ne soit pas une mince affaire. Aucune méthode actuelle ne peut se targuer d’offrir des résultats fiables à 100%. Le poids et la composition corporelle varient en permanence en fonction d’un grand nombre de facteurs :

  • L’activité physique
  • La consommation calorique
  • Le niveau d’hydratation
  • Les cycles menstruels
  • Les saisons
  • Les fluctuations hormonales
  • La consommation de glucides
  • La transpiration
  • La consommation de sodium
  • La consommation de potassium
  • Le matériel avec lequel vous vous pesez
  • L’heure à laquelle vous vous pesez…

Se pose alors la question de la nécessité de l’évaluation du poids. Si l’on n’est pas sportif soumis à catégorie de poids ou culturiste professionnel, a-t-on réellement besoin de connaître son poids ou son pourcentage de masse graisseuse ? Qu’est-ce que cela nous apporte ?

Nous utilisons traditionnellement notre pèse-personne pour savoir si nous avons grossi, mais cette habitude n’a pas de sens. Lorsque l’on a pris de la graisse, on le sait avant même de monter sur sa balance ! On se sent ballonné, moins énergique, et on se demande si nos affaires n’ont pas rétréci au lavage. En somme, notre propre biofeedback nous a déjà transmis l’information. Grossir est un phénomène très déplaisant, est-il réellement nécessaire de s’infliger une double sanction en cherchant à savoir à quel point l’on a grossi ? Ironie du sort, il est même probable que la balance puisse contribuer à faire grossir davantage les personnes angoissées par leur poids. Si le résultat indiqué n’est pas à la hauteur de leur espérance, cela peut perturber leur équilibre émotionnel. Un niveau de stress élevé est susceptible de conduire à une libération chronique de cortisol, hormone dont l’hypersécrétion a des effets délétères sur la silhouette (11).

Des millions de personnes sur cette planète vivent sans pèse-personne et s’en portent très bien. Personnellement, la suppression de la balance est le premier conseil que je prodigue à mes clients. Utilisez un miroir, votre ressenti, et les indications que vous fournissent vos vêtements pour vous faire une idée de votre composition personnelle. Vous pouvez également compter sur votre entourage, toujours prompt à rendre service, pour vous renseigner sur l’évolution de votre physique. Offrez enfin à votre pèse-personne la digne place qu’il mérite : la poubelle !

Pour conclure sur une note plus légère, n’oubliez pas que si le silence est d’or, la parole de celui qui adipeux est d’argent.

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Références scientifiques
(1) Keys AJ, et al. Biology of Human Starvation University of Minnesota Press, Minneapolis, 1950.
(2,3) Rabast U, et al. Loss of weight, sodium and water in obese persons consuming a high or low carbohydrate diet. Annals of Nutrition & Metabolism, 1981 ; 25 (6) : 341-349.
(4) Sue.A. Shapes, et al. Bone, Body Weight, and Weight Reduction: What Are the Concerns ? 2006 American Society for Nutrition.
 
(5) Anja Bosy-Westphal, et al HJ. Contribution of individual organ mass loss to weight loss-associated decline in resting energy expenditure. 2009 American Society for Nutrition.
 
 (6) Horning GA,et al. Three weeks of caloric restriction alters protein metabolism in normal-weight, young men. American Journal of Physiology-Endocrinology and Metabolism, 2005 ; 289 : E446-E445.
(7) Karilla TA et al. Rapid weight loss decreases serum testosterone. Int J Sports Med. 2008 Nov;29(11):872-7. doi: 10.1055/s-2008-1038604. Epub 2008 May 30.
(8) Maughan R.J.  Fluid and electrolyte loss and replacement in exercise. J Sports Sci. 1991 Summer;9 Spec No:117-42.
(9) Montain Sj, et al. Sweat mineral-element responses during 7h of exercise –heat stress. Int J Sport Nutr Exerc Metab. 2007 Dec;17(6):574-82.
(10) Olson KE, Saltin B. Variation in total body water with muscle glycogen changes in man. Acta Physiologica Scandinavica, Sep, 1970; 80 (1): 11-18.
(11) Moyer AE, et al. Stress-induced cortisol response and fat distribution in women. Obes Res. 1994 May;2(3):255-62.